Le livre "La Playlist des philosophes" m'a attiré en tout premier lieu car je suis constamment en recherche de nouveautés à mètres dans mes playlist d'écoute. Ce n'était pas à prime abord un livre que je considérais lire d'un bout à l'autre, mais d'aller y voir les quelques suggestions d'écoute qu'il pourrait proposer. Mais y toucher à eu un effet contagieux d'y retourner régulièrement pour y faire de nouvelle découverte.

Livre: La Playlist des philosophes
Auteure: Marianne Chaillan
Le livre est disponible en emprunt 21 jours à la BANQ en format numérique.

Le livre est divisé en deux types de chapitre:
  • Quelle musique écouterait certains philosophes et pourquoi? C'est ce qui a inspiré le titre du livre.
  • Quels livres de philosophie a pu lire l'auteur d'une chanson pour en être inspiré. Le titre de ces chapitres commence par "La bibliothèque de ..."
Il faut savoir que le livre est basé sur les chansons dites "populaires", celles qu'on entend à la radio et qui sont souvent injustement dénigrées. L'auteure étant française, ses playlist contiennent un bon lot de chansons française ainsi que quelques chansons anglaises.

Bien que je n'ai pas lu le livre en son intégralité, j'ai eu beaucoup de plaisir à reproduire la plupart des "Playlist" mentionné dans le livre à l'intérieur de mon compte Google Play Music. Je compte les mètres publics bientôt pour que les gens puissent les utiliser. Ca m'a permis de constater qu'une bonne partie des chansons étaient disponibles, quoi que certaines étaient absente: Jean-Jacques Goldman, par exemple, n'est presque pas offert dans google play music all access, il a donc fallu que j'ajoute à mon compte mes propres albums de lui. Si vous voulez accéder ces playlists contactez-moi et je vous dirais où elles se trouvent.

Il y a dans les propositions de playlist quelques suggestions qui m'ont fait sourire, par exemple "A nos actes manqués" de Jean-Jacques Goldman dans la Playlist de Freud, tout comme "Disturbia" de Rihanna et "Je veux tout" de Ariane Moffat dans cette même playlist de Freud. Que dire de la présence de "La complainte de la serveuse automate" dans la playlist de ... Marx. Le livre propose aussi des playlists non assignés à des philosophes tel que la playlist du bonheur ("Le blues du businessman" de Starmania, "Les murs de poussière" de Cabrel) ou la playlist de la morale ("Fais pas ci, fais pas ça" de Jacques Dutronc, "Désenchantée" de Mylène Farmer, "Earth Song" de Micheal Jackson, "La Corida" de Cabrel).

Dans la Playlist du Bonheur, par exemple, il y a la chanson "Les murs de poussières" de Francis Cabrel. Le Cabrel de ma jeunesse, celui qui j'ai découvert à l'âge de mes années de CEGEP et qui m'aura accompagné toute la vie par la suite. Je ne me lasse pas de Cabrel que je retourne écouter régulièrement, que je redécouvre continuellement. Ce qu'il y a de bien avec le livre c'est le fait que l'auteur fait le tour de certains écrits de philosophe ou de leur correspondance, ou encore des fois ce sont des liens avec des personnages bien connus de la littérature. C'est le cas ici pour la chanson de Cabrel où l'auteur fait un parallèle avec le personnage de Emma Bovary du livre Madame Bovary, de Flaubert.

Je vous partage ici le texte provenant du livre à propos de cette chanson et du lien avec le bonheur que fait l'auteure:

Leçon de l’histoire : ce qui tue Emma Bovary, c’est l’idée du bonheur. L’idée que le bonheur existe quelque part comme état de plénitude. Car alors ce qu’elle vit est toujours déficient et elle ne cessera de mépriser le réel au nom de cet imaginaire. Rien ne menace plus réflexion bonheur que l’idée de bonheur. N’est-ce pas à la même réflexion que nous invite Francis Cabrel ?

Il rêvait d’une ville étrangère

Une ville de filles et de jeux

Il voulait vivre d’autres manières

Dans un autre milieu

Il rêvait sur son chemin de pierres

« Je partirai demain, si je veux

J’ai la force qu’il faut pour le faire

Et j’irai trouver mieux. »

Le personnage de cette chanson semble manifestement habité par la même illusion qu’Emma Bovary : le bonheur existe et il est ailleurs. Incapable de se satisfaire de ce qu’il possède, parce qu’il imagine que d’autres connaissent une plénitude sans faille, il quitte l’endroit où il vit en quête de ce bonheur qui lui manque :

Il a fait tout le tour de la terre

Il a même demandé à Dieu

Il a fait tout l’amour de la terre

Il n’a pas trouvé mieux

Il a croisé les rois de naguère

Tout drapés de diamants et de feu

Mais dans les châteaux des rois de naguère

Il n’a pas trouvé mieux…

Même constat qu’Emma : le tour entier de la terre ne suffit pas à lui faire connaître l’expérience qu’il appelait de ses vœux. Même le roi, paré de tous les biens matériels possible, ne semble pas plus satisfait qu’il ne l’était, lui, sur son chemin de pierres. Même échec qu’Emma donc, sinon qu’au suicide, il préfère la mutilation.

Il a dit « Je retourne en arrière

Je n’ai pas trouvé ce que je veux »

Il a dit « Je retourne en arrière »

Il s’est brûlé les yeux.

Ce tube de Cabrel est donc d’une grande profondeur : il nous invite à réfléchir au concept de bonheur et à nous tenir sur nos gardes. Croire que le bonheur existe comme état de plénitude est le meilleur moyen de nous rendre profondément malheureux. Oui, nos chemins sont faits de pierres, ils sont difficiles à emprunter, mais aucun chemin au monde n’offre un voyage sans accroc. L’imperfection du réel ne doit pas être une objection pour le délaisser, elle en est un élément constitutif et indépassable


Au-delà des playlists, les chapitres "La bibliothèque de xxx" sont fort intéressant. Cette fois-ci on ne s'imagine pas quelle musique tel ou tel philosophe écouterait, mais quels livres, et de quel philosophe, l'auteur à bien pus lire pour composer ses chansons. De tels chapitres existent pour Stromae, et Jean-Jacques Goldman, deux auteurs/compositeurs que j'admire.

Dans le chapitre de la bibliothèque de Jean-Jacques Goldman il y une section sur une chanson qui m'a marqué profondément. Le titre est "Né en 17 à Liedenstadt". Dans cette chanson, le trio Goldman, Frederick, Jones prennent le rôle de 3 personnes fictives (mais en même temps assez réel): Goldman, qui a des origines polonaise/juive et qui est né d'une mère allemande, prend le rôle d'un allemand né en 1917 début de la naissance du Nazisme, Frederick, qui est une chanteuse américaine noire se prend pour une blanche riche née en Afrique du Sud alors que Jones incarne un soldat de Belfast. Tous les trois se demandent s'ils auraient été capables de faire autrement, d'aller contre la majorité qu'ils incarnent dans leur personnage. La question est percutante, même aujourd'hui. Elle m'a toujours hanté, possédé.

Je vous donne ci-bas la section du livre où l'auteur parle de "Né en 17 en Liendstadt", c'est très intéressant.

De mon coté, je vais surement reparler à l'occasion de ce livre c'est que je n'ai lu que quelques sections de ce dernier, les sections qui ont attiré le plus mon attention sur les auteurs ou chansons que je connaissais déjà. Je n'ai pas fait tous les playlist, et alors que j'écris ces lignes j'ai miss à jours certaines d'entre elles et découvert de nouvelles choses. On y parle de beaucoup de choses dans ce livre, ce n'est pas toujours une lecture simple, car l'auteur semble très bien connaitre tous ces philosophes dont elle parle, alors que je dois l'admettre je n'ai pas une telle érudition. Il me faut digérer tout ça bien tranquillement.







Extrait du livre La playlist des philosophes

Chapitre 8: La biliothèque de Jean-Jacques Goldman
Livre 5: Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem

En philosophie, la question de la liberté humaine se prolonge dans celles de la responsabilité, de la possibilité du jugement moral et du jugement juridique. Si l’homme est libre, alors il est responsable de son action, alors on peut le blâmer ou le féliciter, le punir ou le récompenser. S’il n’est pas libre en revanche alors il ne semble plus possible de le juger. Mais la question de la liberté se spécifie quant à un objet particulier qui est celui du mal. Peut-on faire le choix du mal en conscience ? Est-ce un choix actif ou bien tout méchant n’est-il, en définitive, qu’un ignorant, comme le dit Socrate ?

En 1963, une philosophe allemande, Hannah Arendt, publie un livre qui déclenche un immense scandale. Envoyée par le journal le New Yorker suivre le procès du criminel nazi Adolf Eichmann, Arendt publie cinq articles qui seront réunis pour former l’ouvrage publié sous le titre Eichmann à Jérusalem.

Elle y soutient que le mal n’est pas une force supramondaine, que les hommes coupables d’actes immondes et atroces n’ont pourtant rien de semblable aux figures construites par la littérature sur le mal : pas de diable, pas d’intelligence machiavélique, pas de grandeur, mais au contraire ce sont des hommes ordinaires. La question de pose alors de savoir comment un homme ordinaire peut devenir un bourreau. Sa réponse est simple : il suffit de ne pas penser. Eichmann a été un bon fonctionnaire, appliquant les ordres parce qu’ils étaient les ordres sans jamais questionner leur légitimité. Aussi, nous sommes tous potentiellement des bourreaux si nous n’actualisons pas notre faculté de penser.

Cette thèse retenue sous le nom de « banalité du mal » fut extrêmement mal reçue et l’on accusa Arendt d’être le défenseur des nazis. Aussi, dans un autre de ses livres, La Vie de l’esprit, Arendt s’explique-t-elle sur le concept de « banalité du mal » :

Ce qui me frappait chez le coupable, c’était un manque de profondeur évident, et tel qu’on ne pouvait faire remonter le mal incontestable qui organisait ses actes jusqu’au niveau plus profond des racines ou des motifs. Les actes étaient monstrueux, mais le responsable – tout au moins le responsable hautement efficace qu’on jugeait alors – était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque ni monstrueux. Il n’y avait en lui trace ni de convictions idéologiques solides ni de motivations spécifiquement malignes, et la seule caractéristique notable qu’on décelait dans sa conduite, passée ou bien manifeste au cours du procès et au long des interrogatoires qui l’avaient précédé, était de nature entièrement négative : ce n’était pas de la stupidité, mais un manque de pensée.

On le voit : ce qui interpelle Arendt, c’est qu’Eichmann est un homme ordinaire. Dans le chapitre intitulé « L’accusé » d’Eichmann à Jérusalem, elle rappelle les jugements des psychiatres :

Une demi-douzaine de psychiatres avaient certifié qu’il était « normal ». « Plus normal, en tout cas, que je ne le suis moi-même après l’avoir examiné », s’exclama l’un d’eux, paraît-il […]. Eichmann n’était pas fou au sens psychologique du terme et encore moins au sens juridique.

Elle poursuit en disant qu’Eichmann, durant son procès, a affirmé ne rien avoir eu personnellement contre les Juifs, qu’il a dit ne pas haïr. Il avait, certes, des amis antisémites, mais il disait ne pas partager leur haine.

Personne, regrette Arendt, ne s’est intéressé à ses paroles, personne ne les a crues, car il était impossible d’admettre « qu’une personne moyenne, normale, ni faible d’esprit, ni endoctrinée, ni cynique, puisse être absolument incapable de distinguer le bien du mal ». Pourtant, à ne pas les prendre en considération, ajoute Arendt, on passe « à côté du plus grand défi moral et même juridique posé par toute cette affaire ».

Ce problème philosophique auquel tant de personnes n’ont pas voulu penser n’a, en revanche, pas échappé à Jean-Jacques Goldman. « Né en 17 à Leidenstadt » est la traduction, sous forme de chanson, de la thèse de Hannah Arendt. S’appuyant sur les origines des membres de son trio Fredericks-Goldman-Jones, Goldman évoque trois moments tragiques de l’histoire où des hommes eurent « à choisir un camp » et connurent la violence, la haine et le mal.

À tous ceux qui jugent les hommes a posteriori, depuis le confort de leur vie en temps de paix et de quiétude, Goldman adresse une leçon d’humilité et invite à reconnaître qu’au fond :

On ne saura jamais ce qu’on a vraiment dans nos ventres

Caché derrière nos apparences

L’âme d’un brave ou d’un complice ou d’un bourreau ?

Ou le pire ou le plus beau ?

Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d’un troupeau

S’il fallait plus que des mots ?

Qu’est-ce donc sinon la thèse même d’Arendt ? Pour Goldman, le bourreau, ce n’est pas un monstre. Le bourreau, c’est potentiellement chacun d’entre nous, dans un certain contexte. Le mal n’est donc pas le fait d’une intelligence démoniaque, le mal est le fait d’hommes ordinaires.

Goldman et Arendt s’accordent jusqu’à ce qu’ils reconnaissent être la cause de cette déchéance dans le mal. Bien sûr, il y a la situation, au sens sartrien, définie plus haut, c’est-à-dire une certaine forme de déterminisme spatio-temporel :

Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt

Sur les ruines d’un champ de bataille

Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens

Si j’avais été allemand ?

Bercé d’humiliation, de haine et d’ignorance

Nourri de rêves de revanche.

Mais, plus que la situation, la cause du mal provient de la destitution même de ce qui fonde l’humanité en notre personne : la pensée. Le mal est rendu possible par l’absence de pensée.

Aurais-je été de ces improbables consciences ?

« Improbables consciences » est, bel et bien, la traduction de ce qu’Arendt appelle « manque de pensée ». Ainsi, Goldman comme Arendt voient dans l’absence de conscience, de pensée critique, le terreau dans lequel le mal plonge ses racines.

Et, comme la philosophe allemande, Goldman nous invite à méditer sur le fait que « le ventre est encore fécond dont est sortie la bête immonde » et que notre responsabilité face à l’histoire est de ne pas penser qu’elle fut écrite par des êtres d’une nature autre que la nôtre